MARIE. L’amour de ma vie, celle que j’aime, ma femme. Je l’ai rencontrée au rayon yaourts dans un petit magasin ouvert le dimanche matin. Ce jour-là, j’étais fatigué, mes finances au plus bas. J’avais travaillé une grande partie de la nuit. Je décidai d’aller marcher un peu, prendre l’air, réfléchir ! En passant devant une devanture de magasin de fruits et légumes, je comptai la monnaie qui restait dans ma poche et j’entrai pour prendre une salade et quelques yaourts. Je prenais le dernier pack « aux pruneaux » quand j’ai entendu :
– Zut ! C’est celui que je voulais.
– Vous me voulez ?
Elle a éclaté de rire.
– Non, non, ce sont les yaourts !
– Dilemme ! Ou je suis galant et je vous les laisse ou si vous voulez je les prends et je vous attends au petit bistrot d’en face pour partager.
– Ok, c’est aussi une forme de galanterie, plus que du savoir-vivre. Dix minutes après nous prenions un café. Elle était mimi, blonde, des yeux bleus des dents parfaites et un léger accent. La lumière du bistrot était diffuse et lui donnait un air de madone, sa main posée sur le marbre de la table ronde faisait ressortir sa blancheur laiteuse. Moment du partage. – Je vous donne deux yaourts.
– Non, je vous achète deux yaourts.
– Non, je vous les offre.
– D’accord, mais je paye les cafés !
Alors une conversation banale débuta :
– Qui êtes-vous ?
– Et vous ?
– Que faites-vous ?
– Et vous ?
– Vous habitez dans le quartier ?
– Et vous ?
Voilà qu’au bout d’une demi-heure nous nous sommes quittés sans nous laisser, ni adresse ni téléphone. Il faut dire qu’à l’époque les portables n’existaient pas. Nostalgie ! En la regardant s’éloigner, j’eus une drôle de pensée, « et si c’était elle ? » Pas de portable, je savais juste qu’elle habitait dans le quartier et rien d’autre ! Quant à moi je n’étais pas du coin et comme j’étais en bleu de travail, je lui ai dit que je réparais ma voiture dans mon garage, ce qui justifiait ma tenue. Je n’allais pas lui dire que j’essayais de mettre au point une invention tout seul et que mes quatre yaourts, réduits à deux, étaient pour mon repas de midi, car il me restait cinquante francs pour aller à la fin du mois. D’ailleurs bien longtemps après, et chaque fois que je mange des yaourts aux pruneaux j’ai toujours le sourire. Je n’ai pas pensé à elle, trop pris par mes inventions, et puis une nuit, très tard, je me suis réveillé en « la » voyant devant moi ! J’avais bien eu quelques aventures mais ce n’était pas simple, pour ces quelques maîtresses qui m’ont aimé. Trop pris par mon travail, mes idées à trouver des solutions, j’oubliais les rendez-vous. J’étais dans mes pensées et je n’entendais même pas ce qu’elles me racontaient. Je dormais au cinéma. Si par malheur il y avait une nappe en papier au restaurant, je prenais des notes où je dessinais une esquisse, un plan de machine. Bref je me suis toujours fait plaquer et c’était du style : « Je t’aime, mais tu ne me comprends pas. » ou : « Va rejoindre ta maîtresse et n’oublie pas de lui mettre de l’huile à elle ! » ou « Chéri, tu enlèves ce carnet de la table de nuit, car tu m’as réveillée à 2h et à 3h30, j’en ai marre que tu allumes pour prendre des notes. »
J’ai pris mon carnet et je ne suis jamais revenu ! Pardon à vous toutes, mais vraiment nous n’étions pas sur la même longueur d’ondes.
Donc fin de nuit tourmentée ! Et pour une fois je me réveillai en pensant à autre chose que mon travail.