Insouciante jeune fille.
Je devais être vendeuse. Mais la directrice me dit :
« Non tu vas être mannequin. »
C’est vrai que j’étais très jolie et je venais d’en prendre conscience. Jusqu’à 18 ans mes yeux, ma vie n’avait vu que le gris comme couleur. À partir de ce moment-là l’arc-en-ciel allait illuminer mon destin. J’entrais dans la maison de haute couture Hirsch. Cette maison était le fruit d’une histoire d’amour contrarié. Fondée par Léo Hirsch en 1869. Juif, il rencontre et courtise Johanna Freudebberg, allemande. Les débuts de cette relation n’ont pas l’accord des familles. Mais devant leur persévérance à clamer leur amour Léo épousa Johanna. La Maison Hirsch fabriquait et vendait des vêtements de luxe pour femmes et enfants.
Cette maison était à l’angle de la rue neuve et de la rue du pont neuf. Je me rendais sur mon lieu de travail en tram.
La rue neuve était royale nous étions dans l’ancien hôtel du comte de Grunne. Les nobles laissaient leurs hôtels particuliers et allaient s’installer vers le quartier Léopold et ces bâtisses se transformaient en d’immense magasin pour une clientèle de luxe.
Le succès de Léo Hirsch était contrairement à Dior ou Balenciaga, de faire des robes uniques. Ainsi dans certaines réceptions, sa riche clientèle ne croisait pas la même tenue. Tissus anglais cachemire des indes, les petites mains travaillaient jour et nuit. La reine et la princesse napoléon étaient de ses fidèles clientes. Quand nous étions mannequin chez Hirsch nous appartenions à la maison. Pas question de défiler pour un autre couturier. Il y avait des salons privés pour les bonnes clientes, à qui nous présentions les modèles. Léo Hirsch avait un grand cœur et il était profondément humaniste. Il créa une colonie de vacances pour ses employés et leurs enfants mais aussi pour les enfants juifs pauvres.
Je me rendais à mon travail en tram. Un matin je repérais un garçon type fils à papa qui roulait en cabriolet. Une voiture américaine à l’intérieur rouge. Jeune homme avec veste et cravate, lunette de soleil. Type play-boy ! Mais le tram tournait place de Brouckere et prenait une rue interdite aux voitures.
Donc bye bye.
Cette place était magnifique pleine de passants, de commerces, de cinémas, de vendeurs de fruits et légumes. Au milieu, trônait la fontaine Anspach. Deux palaces le Métropole et l’Atlanta. Django Reinhardt qui est né en Belgique jouait sur cette place.
Je prenais mon rôle de mannequin avec sérieux. Jamais je n’avais vu d’aussi belles robes. Pour les défilées nous nous préparions dans nos cabines. C’était l’euphorie entre nous, accessoires chapeaux colliers, mais aussi des querelles entrent filles pour des broutilles. Des affinités aussi notamment avec mon amie Bettina,de son nom Bodin et de prénom Simone qui avait épousé son photographe Benno Graziani. Elle devient célèbre lors d’un défilé pour Givenchy dont elle est le mannequin vedette. Elle travaille chez Lucien Lelong qui vient d’engager deux modélistes Christian Dior et Pierre Balmain. Un inconnu lui propose un contrat et multiplie par cinq ses cachets. En 1955 elle est payée 7 000 francs de l’heure. C’est comme cela qu’elle devient la muse de Jacques Fath pendant quatre ans. C’est Fath qui lui a donné son nom de mannequin Bettina car il y avait déjà une Simone dans sa troupe. Il se disait qu’elle était le mannequin la plus photographié de France. Elle croisa chez Fath Ali Khan fils de l’Aga khan III et deviendra son amie.
Cet homme éternel séducteur à la réputation sulfureuse et aux multiples conquêtes, épousa Rita Hayworth l’ex femme d’Orson Welles il eut une relation avec Gène Tierrney, puis avec Bettina. Elle restera à ses côtés jusqu'à son décès d’un accident d’automobile en 1960.
En 2010 j’ai lu qu’elle avait été nommée
Commandeur des Arts et des Lettres « Vous êtes devenue un emblème d'une certaine mode française » dira le ministre Frédéric Mitterrand.
J’ai défilé avec
Janine Sagny-Marsay, qui deviendra plus tard le top-modèle « Praline » baptisée ainsi par Pierre Balmain. En 1947 elle devient miss ciné monde. Après avoir épousé Michel Marsay qui était acteur et réalisateur elle deviendra actrice de cinéma. C’est elle qui écrira le premier livre sur les mannequins en 1951. Elle eut un accident de voiture fatal en 1952.
Je m’en sors bien !